L'école des chiens guides

Publié le par Caro

Je vous encourage tous à cliquer sur les liens suivants pour voir, admirer et soutenir le travail réalisé par les écoles de chiens guides d'aveugles.

http://www.chien-guide-paris.asso.fr/

http://chienguideparis.canalblog.com/

Voici un témoignage pour mieux comprendre (merci à Jeff pour l'autorisation) :

La rencontre avec mon chien guide par Eric Chédeville.
Trémis, berger suisse, chien guide d'Eric Chédeville

Au début, on met le pied dans le sable, on s'enfonce légèrement, rien
d'inquiétant. Un peu plus loin, c'est le mollet qui s'enfonce, et là, il
devient plus difficile de sortir la jambe du sable. Plus tard, on a du
sable jusqu'aux cuisses, et on réalise alors que l'on est bloqué, que
l'on commence à s'enfoncer inexorablement dans ces sables mouvants. On
essaie de rester calme : c'est vrai, on dit toujours qu'il faut garder
son calme dans les sables mouvants. On se demande comment on a fait pour
tomber là-dedans, et pourquoi on n'arrive pas à en sortir, on appelle au
secours. Personne. On agite les mains dans tous les sens car le sable
nous a envahi jusqu'à la taille, mais il n'y a rien pour s'accrocher. On
crie, on hurle, mais personne n'entend, car c'est un cri intérieur,
c'est le cri de la maladie de la déficience visuelle, rampante comme un
serpent, qui vous étouffe lentement, sans mot dire, sans brutalité.
Quand vous voulez fuir, il est déjà trop tard. Il ne reste plus aucune
chance, personne ne s'est arrêté, ou plutôt personne n'a su s'arrêter
pour vous aider, aux bons moments. Vous êtes sur le point de vous
laisser couler dans les sables mouvants, laissant un bras sorti, symbole
de la lutte, de la non-résignation et de l'espoir, jamais atteint...
Quand soudain, quelque chose accroche votre manche, quelque chose de
fort et dynamique. Il vous fixe et recule avec énergie, il tire, il tire
de toutes ses forces, et on sent que sa détermination est inébranlable.
Sa joie sera entière lorsque vous serez sorti de là. Vous êtes tellement
surpris, mais surtout tellement fatigué, que vous vous laissez faire.
Cette tête venue de nulle part, pleine de vigueur et de joie, c'est
celle de votre chien guide, venu de l'au-delà, pour vous sauver la vie
et redonner l'espoir. Au début, je n'arrivais pas à y croire : c'était
bien un chien qui m'avait sorti de ce pétrin !

- «Pourquoi as-tu fait cela chien ?
- parce que l'on m'a éduqué pour cela monsieur.
- On t'a éduqué pour ça ? Mais qui ?
- Quand je suis né, on m'a placé dans une famille d'accueil, qui
m'aimait beaucoup. Pour que je devienne sociable, ils m'emmenaient
partout : dans les magasins, dans les transports et même en vacances !
Ensuite, quand j'ai eu un an, je suis retourné à l'école, où l'on ma
présenté mon éducateur, William. C'est lui qui m'a appris à devenir un
chien guide d'aveugle.
- Un chien guide d'aveugle ? Mais, c'est quoi ça ?
- C'est moi.
- Toi ?
- Oui, moi.
- Et alors, que sais-tu faire ? Tu es comme ces chiens de cirque qui
savent faire des numéros, hein ? Tu sais compter, sauter, danser ?
- Non, je ne sais pas compter, je ne sais pas danser, je ne parle pas
non plus, je ne sais pas lire, mais je peux te guider dans l'obscurité
qui est la tienne.
- Je n'ai pas besoin d'un chien pour me guider, va-t-en !».

«Pour qui il se prend celui-là. Moi je suis un humain, je suis
intelligent, je sais compter, je sais danser, je lis aussi, et puis je
me débrouille très bien avec ma canne blanche.... Je me relevai, encore
un peu choqué de ce qui venait de m'arriver, et repris mon chemin,
tâtonnant, les mains tendues, pour ne pas me cogner. «Ma vue baisse,
c'est comme des briques que l'on ajouterait chaque jour et, petit à
petit, c'est un mur qui se dresse devant moi. Les briques, c'est le
handicap ; le ciment qui rend ce mur indestructible, c'est le regard que
portent les autres sur moi. Je suis directeur d'une maison de disques,
mais depuis que j'ai la canne blanche, les gens n'osent même plus me
demander si je travaille.... Je souffre. Non mais c'est vrai, c'est quoi
cet animal prétentieux, il croit qu'il peut me guider, alors que moi
j'ai tant de mal à le faire ; je n'y crois pas, encore une arnaque pour
faire dépenser de l'argent aux personnes handicapées. Et ce mur qui
s'épaissit. Je souffre tellement !».

- «Essaye-moi, dit le chien, tu ne risques rien, et si tu n'es pas
content, tu me ramèneras à l'école. En plus, tu sais, pour toi, c'est
gratuit. C'est vrai que je coûte très cher, mais je suis toujours remis
gratuitement aux aveugles et aux malvoyants. Prends-moi un week-end et
tu verras bien.»

Je suis parti avec Trémis, un berger blanc de quarante kilos, très
encombrant. Le premier week-end, sans harnais et juste avec une laisse,
il tirait comme un fou. Je me suis dit que jamais un chien comme lui ne
pourrait me guider. Je suis allé en forêt pour le promener, et j'ai pu
me rendre compte qu'il m'aidait à mieux voir le chemin: cette grosse
«tache blanche» contrastait avec le chemin et me permettait de mieux le
repérer, un peu comme un «marker». Quand je l'appelais, il ne revenait
pas, il ne m'obéissait pas vraiment. C'est alors que j'ai entendu les
premiers:
«Ho ! Regarde ce chien comme il est beau !». J'avais plutôt l'habitude
d'un silence un peu pesant à mon passage, avec ma canne blanche. Là,
j'avais toujours la canne, mais les gens trouvaient ce chien tellement
beau qu'ils m'abordaient en me demandant de quelle race il était, où je
l'avais acheté, etc.... J'ai expliqué que c'était un chien qui était en
formation, qu'il deviendrait un chien guide d'aveugle, que j'étais
malvoyant. D'habitude, les gens sont attristés, mais là, ils étaient
émerveillés. Cela me poussa à aller de l'avant. «Ok, je te ramène à
l'école lundi, mais je viens te chercher le week-end prochain !»

Au début ce n'était pas évident, j'ai eu Trémis comme chien de compagnie
pendant plusieurs mois et je pensais vraiment qu'il ne pourrait pas me
guider. Néanmoins, il était si beau, il y avait tellement de gens qui
m'abordaient, que ça m'a poussé à aller plus loin. En même temps, je
n'étais pas très heureux, car accepter ce chien, c'était accepter que la
maladie était vraiment devenue handicapante ; ce chien, c'était un peu
comme un fauteuil roulant.... Un jour, alors que l'on se promenait, il
s'est cogné et s'est fait mal. Je l'ai entendu pleurer et ça m'a fendu
le coeur ; je me suis précipité pour voir s'il n'avait rien. A ce
moment-là, j'ai compris que l'on avait créé un lien. Mon coeur s'est
rempli de joie, et pourtant ce n'était toujours pas mon chien guide.

Quatre mois plus tard, on a eu rendez-vous à l'école pour commencer la
formation avec Trémis. Je me disais : «C'est impossible que ce chien me
guide, ça fait quatre mois que je l'ai en chien de compagnie, il est
gentil, mais est tout fou, il ne sait pas guider !» Je suis arrivé à
l'école et, pour la première fois, on lui a mis le harnais sur le dos,
et on lui a dit : «va devant !». Alors comme par enchantement, Trémis
s'est mis à marcher, sans tirer, à mon allure, évitant tous les
obstacles. Je n'arrivais pas y croire, c'était incroyable, on avait
transformé mon chien !

- «M. Chédeville, quand vous travaillez, vous n'êtes pas pareil vous non
plus, non ?» C'est vrai, mais je ne pensais pas que c'était pareil pour
un chien !

Non seulement, il évitait les obstacles, mais il ralentissait au moment
d'arriver à un escalier, faisait la différence entre un escalier
mécanique et un escalier normal. Mais ce n'et pas tout : il était
capable de me trouver un distributeur de billets, un siège, une
poubelle, le métro.... Je n'en croyais pas mes pauvres yeux ! Au début,
j'avais toujours peur de me cogner, qu'il se trompe. Un jour, M. Romero
nous a dit : «Aujourd'hui, on va aller au marché et, si vous le désirez,
vous pouvez essayer de mettre un bandeau sur les yeux.» Je n'osais pas y
croire ; c'est vrai que je ne reconnaîtrais pas un éléphant dans un
couloir, mais j'avais l'impression que c'était le peu de vue qu'il me
restait qui faisait la différence. Au fond, j'avais encore l'impression
que c'était moi le guide. Allez ! Je me suis lancé, j'ai mis le bandeau
sur les yeux, et en route pour le marché. Déjà, quand je n'y voyais pas
trop mal, le marché je n'aimais pas vraiment ça parce qu'il est rempli
de barres et de poteaux. Mais là, avec un bandeau sur les yeux.... En
nous approchant, je commençais à sentir les odeurs du marché, à entendre
les commerçants, mon coeur se serra, qu'allait-il se passer ?
J'avançais dans le marché, il y avait du monde, le chien faisait
attention de ne bousculer personne. J'entendais des gens autour de nous
: «Regarde ce chien comme il est beau !» j'étais stressé. En passant
devant le charcutier, malgré la tentation du poulet rôti, Trémis ne
s'arrêta pas. Le marché du 12ème arrondissement de Paris, il est grand.
J'avais l'impression que cela durait depuis une éternité, et puis, au
bout d'un moment, j'entendis le marché qui s'éloignait... C'était fini,
j'avais traversé tout le marché avec un bandeau sur les yeux, sans qu'il
arrive le moindre dommage !

Une fenêtre venait de s'ouvrir sur ce mur qui me bouchait la vue. On
venait de percer ce mur, qui se mettait devant moi et m'empêchait
d'avancer, faisant entrer de la lumière dans ma vie. C'est mon chien
Trémis, le plus beau chien du monde, mon chien guide, mon ami.
Maintenant, je regarde l'avenir avec confiance, je ne serai plus jamais
perdu car j'ai mon chien guide. Comme le dit si bien Saint-Exupéry dans
Le Petit Prince : «Nous avons crée des liens et nous sommes devenus
amis.» Finalement, ce chien m'apporte bien plus que le simple «travail»
qu'il fournit. Mais ça, c'est une autre histoire.

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